Sonoriser le monde, Emily Thompson

Emily Thompson, « Sonoriser le monde – ingénieurs et Empire du son dans l’industrie cinématographique, 1927 – 1930 ».

Traduction en français de l’article “Wiring the World: Theater Installation Engineers and the Empire of Sound in the Motion Picture Industry, 1927-1930″, pp. 191-209 in Veit Erlmann, ed., Hearing Cultures: Essays on Sound, Listening, and Modernity (Berg, 2004).

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à venir …
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couverture de l’édition imprimée

« Toute technologie relève d’une manière ou d’une autre de l’assistance » : entretien avec Mara Mills

Entretien réalisé pour le site Syntone, publié le 29 janvier 2019.

« Depuis quelques années, Syntone assiste avec grand intérêt au développement en France des études du son, qui existent dans le monde anglophone depuis plusieurs décennies sous l’expression de sound studies. Nous avions les deux oreilles plongées dans les créations radiophoniques et les paysages sonores, et voilà que notre attention se trouve ici attirée non plus tant sur les contenus auditifs que sur la façon dont nous les recevons : les technologies qui les transmettent et, en amont, les constructions sociales qui les constituent en tant qu’objets d’écoute. Qu’apprend-on de ce décentrement ? Qu’est-ce que le son nous enseigne de l’histoire occidentale ? D’où viennent les technologies audio qui nous servent aujourd’hui au quotidien ? Comment se nourrissent-elles de pratiques et de savoirs minoritaires, notamment issus de la culture sourde ? Pour nous ouvrir les coulisses de la modernité numérique, grand entretien avec une chercheuse aussi érudite que stimulante dans l’histoire du son : Mara Mills, maîtresse de conférence au sein du département Media, Culture et Communication de l’Université de New York, où elle codirige le Center for Disability Studies (centre d’études sur le handicap). »

lire l’entretien dans son intégralité

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édition imprimée de l’entretien (indépendante de Syntone).

Le chat-téléphone, Jonathan Sterne

traduit de l’anglais par amandine farray.
Article original : “The Cat Telephone,” The Velvet Light Trap #64 (Fall 2009): 83-84.

http://sterneworks.org/

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article au format pdf

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schéma du système de Wever et Bray. extrait de l’ouvrage MP3 : économie politique de la compression, de Jonathan Sterne, traduit de l’anglais par Maxime Boidy et Alexis Zimmer avec la collaboration de Phillipe Mortimer (Cité de la musique – Philharmonie de Paris, 2018).

 

En 1929 deux chercheurs de l’Université de Princeton, Ernest Glen Wever et Charles W. Bray, « branchèrent » un chat vivant dans un système téléphonique et rejouèrent la scène originelle de l’histoire du téléphone. Suivant une procédure développée par les physiologistes, Wever et Bray enlevèrent des parties du crâne du chat et la majeure partie de son cerveau a n d’insérer une première électrode dans le nerf auditif droit de l’animal et une seconde dans une autre partie de son corps. Ces électrodes étaient ensuite branchées, par environ deux mètres de câble blindé, à un amplificateur à tube à vide situé dans une pièce insonorisée (séparée du laboratoire où se trouvait le chat). Après amplification, les signaux étaient envoyés dans un récepteur téléphonique. L’un des chercheurs émettait un son dans l’oreille du chat, tandis que l’autre l’écoutait via le récepteur dans la pièce insonorisée (Wever et Bray 344). Au travers du récepteur téléphonique les signaux captés sur le nerf auditif devenaient son. « La parole était transmise avec une grande fidélité. Donner des instructions simples, compter, ce genre de choses passaient aisément. D’ailleurs, dans de bonnes conditions le système était employé comme moyen de communication entre le laboratoire et la pièce insonorisée » (Wever et Bray 345). Après leur succès initial, Wever et Bray cherchèrent toutes les explications possibles de la transmission du son à travers le câble. Ils tuèrent même le chat pour s’assurer qu’il n’y avait pas d’autre transmission mécanique du son que celle de son nerf : « Après la mort de l’animal la réponse a d’abord diminué en intensité, puis a cessé » (Wever et Bray 346). Etant donné que le son s’affaiblissait dans leur chat-microphone, la mort de l’animal démontrait que la vie elle-même pouvait faire fonctionner un téléphone ou n’importe quel autre système électro-acoustique – ce qui était peut-être déjà le cas.

Pour apporter une touche Zen à cette histoire, le téléphone existait à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du chat de Wever et Bray, et, par extension, des êtres humains. Ils croyaient avoir prouvé ce qui était appelé la théorie téléphonique de l’audition, tombée en désuétude à la fin des années 1920. Il est intéressant ici de comprendre, à la fois, leurs erreurs et leur contribution à la recherche sur l’audition. Alors que Wever et Bray pensaient être en train de mesurer des signaux provenant du nerf auditif, ils confondaient en fait deux ensembles de signaux. Le nerf auditif peut lui-même produire ou non un inlfux nerveux n’ayant pas de relation mimétique directe avec les sons qui lui sont extérieurs – il n’y a pas de variation continue de la fréquence ou de l’intensité, comme avec le son dans l’air. Une série d’expériences menées en 1932 révéla que les signaux mimétiques trouvés par Wever et Bray provenaient de la cochlée. Les sons qui sortaient des haut-parleurs de la salle insonorisée, étaient issus de ces signaux, appelés « potentiels microphoniques cochléaires » (cochlear microphonics). Hallowell Davis écrivit un article sur le sujet en 1934 :

La forme d’onde de la réaction cochléaire diffère de celle du nerf. Pour ce dernier, nous avons une série de transitoires aigus ayant la polarité et la forme d’onde caractéristiques des impulsions nerveuses [qui déchargent trois à quatre mille fois par seconde dans le mésencéphale], tandis que la réponse cochléaire reproduit avec une fidélité considérable la forme des ondes sonores qui la stimulent. Même les ondes complexes de la voix humaine sont reproduites avec la précision d’un microphone, alors qu’à travers la plupart des structures nerveuses il y a tant de distorsion et de suppression des hautes-fréquences que la parole peut être totalement incompréhensible. (Davis 206)

Davis insinuait ainsi que les nerfs sont de mauvais circuits pour la reproduction des sons, mais que la cochlée en est un excellent – semblable à un microphone. Le travail de Davis et ses collaborateurs sur la transmission cochléaire ouvrit la voie à un vaste éventail de recherches et, aujourd’hui encore, les potentiels microphoniques cochléaires sont un champ de recherche important. Bien que leurs recherches remettaient en cause les conclusions de Wever et Bray concernant la théorie téléphonique de l’audition, Davis et ses collaborateurs empruntèrent le même chemin épistémologique que ces derniers, où oreilles et média étaient interchangeables. En fait, on parvenait mieux à comprendre les unes par le point de vue de l’autre et vice-versa. L’une des réalisations les plus largement connues et controversées de ce travail a été le développement des implants cochléaires. Les traitements de la malentendance et de la surdité antérieurs impliquaient des interventions dans l’oreille moyenne ; les implants cochléaires étaient l’aboutissement du projet d’intervention dans l’oreille interne, une pratique rendue possible en partie grâce aux recherches amorcées par Wever et Bray. En parallèle, le travail de traduction du cerveau  – des neurones déchargeant à la perception du son – devint également une préoccupation majeure des psycho-acousticiens et reste à ce jour une question ouverte. (Blume 99). Quant au chat qui joua le rôle de substitution des êtres humains dans ces expériences, c’est une autre histoire.

 

TRAVAUX CITES :

Blume, Stuart. “Cochlear Implantation: Establishing Clinical Feasibility, 1957–1982.” Sources of Medical Technology: Universities and Industry. Ed. Nathan Rosenberg, Annetine C. Gelijns, and Holly Dawkins. Washington, D.C.: National Academy P, 1995. 97–124.

Davis, Hallowell. “ The Electrical Phenomena of the Cochlea and the Auditory Nerve.” Journal of the Acoustical Society of America 6.4 (1935): 205–15.

Mathews, Max. “ The Ear and How It Works.” Music, Cognition and Computerized Sound. Ed. Perry R. Cook. Cambridge: MIT P, 2001. 1–10.

Saul, L. J., and Hallowell Davis. “Action Currents in the Central Nervous System: I. Action Currents in the Auditory Nerve Tracts.” Archives of Neurology and Psychiatry 28 (1932): 1104–16.

Stevens, Stanley Smith, and Hallowell Davis. Hearing: Its Psychology and Physiology. New York: John Wiley and Sons, 1938.

Wever, Ernest Glen, and Charles W. Bray. “Action Currents in the Auditory Nerve in Response to Acoustical Stimulation.” Proceedings of the National Academy of Science 16 (1930): 344–50.

 

Modulation, Mara Mills

Traduction de l’anglais vers le français de l’article : Modulation. In C. Jones, D. Mather, & R. Uchill (Eds.), Experience: Culture, Cognition, and the Common Sense (pp. 150-161). Cambridge, MA : MIT Press, 2016.

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Mara Mills est professeure associée d’histoire et théorie dans le département Media, Culture et Communication de l’Université de New-York, et travaille au croisement des études des médias et des disability studies. Son livre On the Phone: Hearing Loss and Communication Engineering (à paraître chez Duke University Press) défend l’importance de la phonétique et de l’éducation des personnes sourdes pour l’émergence de l’« ingénierie des communications » dans la téléphonie du début du 20e siècle. Ce concept et cet ensemble de pratiques posèrent les bases de la théorie de l’information, du codage digital et de la cybernétique – aux côtés de nouveaux outils électroacoustiques et d’une compréhension renouvelée de la parole et de l’audition humaine. Mills travaille actuellement sur l’histoire de la reconnaissance optique de caractère et, avec Jonathan Sterne, à l’écriture d’un livre intitulé Tuning Time: Sequences from the History of Time Stretching and Pitch Shifting.

http://maramills.org/

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lire/télécharger sur la page Academia de Mara Mills

PDF de l’article

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